[interview] Présentéisme : "Les entreprises n’ont pas pris conscience des risques pour la santé de leurs salariés et leur productivité"

[interview] Présentéisme : "Les entreprises n’ont pas pris conscience des risques pour la santé de leurs salariés et leur productivité"

11.04.2019

HSE

En dépit de problèmes de santé et parfois d'un arrêt de travail prescrit, nombre de salariés renoncent à s'arrêter de travailler, souvent avec le "sentiment que l’importance de leur charge de travail ne peut leur permettre de s’absenter", explique Sébastien Richard. Ce présentéisme a un coût pour l'entreprise, de par la perte de productivité de ceux qui viennent malgré tout, et le risque d'arrêts maladie plus longs par la suite. Mais pour l'instant, la plupart des entreprises se préoccupent surtout de l'absentéisme.

S’il propose la mise en place d’un jour de carence non indemnisé en cas d’arrêt maladie, le rapport sur les arrêts de travail rendu public fin février signale que la France est l’un des pays européens où le taux de présentéisme au travail est le plus important.

► Sébastien Richard, maître de conférences en économie du travail et en ressources humaines à l’université de Lille-I, estime que les entreprises et les managers devraient être sensibilisés aux risques associés au présentéisme.  

 

Comment expliquez-vous l’importance du présentéisme en France ?  

Sébastien Richard : Des salariés peuvent renoncer à s’arrêter en raison de l’impact financier d’un arrêt maladie. Mais je pense que ce n’est pas la raison principale. Il existe d’autres facteurs. Des personnes viennent travailler en étant malades car elles ont le sentiment que l’importance de leur charge de travail ne peut leur permettre de s’absenter. Qui plus est, le rapport au travail est particulier en France, avec une dimension symbolique très forte. Le discours est le suivant : vous avez un travail, vous avez de la chance, soyez présents, même quand vous êtes malades, soyez exemplaires. Cette culture du présentéisme est valorisée dans nombre d’entreprises.  

Quels sont les risques de ce phénomène, en particulier pour la santé et la sécurité des salariés?  

Sébastien Richard : En cas de maladie contagieuse comme une grippe ou une gastro-entérite, le salarié malade et présent au travail peut entrainer des arrêts maladie chez ces collègues. D’autre part, la personne présentéiste risque de s’épuiser. On imagine bien que ne jamais s’arrêter pour se soigner peut générer des problèmes de santé plus importants. Quelques travaux en médecine ont documenté ces risques. Autrement dit, le présentéisme est susceptible de se traduire par un absentéisme à plus long terme. Enfin, on ne peut écarter les risques potentiels d’accidents du travail ou pour la sécurité d’un salarié présent au travail malgré un mauvais état de santé.  

Des études pointent aussi des risques pour la performance de l’entreprise. Sont-ils importants ?  

Sébastien Richard : Ces études scientifiques tendent à montrer que la perte de productivité des personnes présentéistes représente un coût plus important que si ces mêmes personnes s’étaient absentées.  Il ne faut pas se leurrer, quand une personne renonce à un arrêt maladie justifié, elle aura du mal à être aussi productive. Et cette baisse de productivité risque de durer dans le temps.   

Les dispositifs de lutte contre l’absentéisme, comme les primes d’assiduité ou les jours de carence, ne risquent-ils pas d’être contre-productifs ?   

Sébastien Richard : L’objectif de ces dispositifs est de lutter contre les salariés qui ont recours trop facilement ou abusivement aux arrêts de travail. Mais cela peut probablement amener des salariés à venir travailler lorsqu’ils sont malades. C’est une forme de contre-productivité de ce point de vue. À mon avis, ces dispositifs devraient être taillés sur mesure, en fonction des problématiques de l’absence dans une entreprise. Dans certaines entreprises, les conséquences financières pour le salarié absent ne sont pas déclenchées à la première absence, mais au-delà d’un certain nombre de jours d’absences jugé trop élevé.  

Les entreprises sont-elles aujourd’hui conscientes des enjeux autour de ce comportement des salariés ?  

Sébastien Richard : Je ne suis pas certain que l’on progresse beaucoup sur la question. Le présentéisme des salariés est vu comme une forme d’engagement au travail. Les entreprises n’ont pas pris conscience de ses risques pour la santé de leurs salariés et leur productivité. La grande majorité d’entre elles continue de se préoccuper uniquement de leur absentéisme. Il est nécessaire de les sensibiliser au présentéisme, en pointant les conséquences négatives de ce comportement sur la santé des individus et les performances. La culture managériale, cette exigence d’être toujours là y compris quand on est malade, pèse sur les collaborateurs et sur le manager lui-même.  

Le taux d’absentéisme dans une entreprise peut être facilement suivi et mesuré. Mais comment une entreprise peut-elle évaluer le présentéisme de ses salariés ?  

Sébastien Richard : Une méthodologie classique, sur laquelle repose la plupart des études scientifiques, consiste à demander aux salariés de se rappeler le nombre de fois où ils ont été présents au travail alors qu’ils auraient pu raisonnablement s’arrêter en raison de leur état de santé. Ce sont des études longues et couteuses. Avec Benjamin Huver, auteur d’une thèse sur le sujet, nous avons mis au point une méthodologie statistique pour généraliser et alléger le diagnostic de présentéisme. À partir des caractéristiques individuelles d’un salarié et au regard de ce qui se passe dans le reste de l’entreprise, nous faisons une prédiction du nombre de jours d’absence attendu. S’il existe un écart important avec cette prévision, l’explication la plus probable est celle d’un renoncement à l’arrêt maladie. Quelques cabinets de conseils sont en mesure de faire un diagnostic de présentéisme.

 

Le présentéisme est un comportement d’un salarié qui, malgré des problèmes de santé physique et/ou psychologique nécessitant de s’absenter, se présente au travail.

En 2016, l’exploitation des données de l’enquête nationale Conditions de travail a montré que 41 % des salariés français déclarent au moins un jour de présentéisme au cours des douze derniers mois, avec une moyenne de 2,5 jours de présentéisme sur une année de travail.

Une autre enquête menée en 2018 par le groupe mutualiste Malakoff-Médéric a mis en évidence l’importance du renoncement aux arrêts maladie : près d’un quart des arrêts maladie prescrits ne sont pas été respectés par les salariés

 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Joëlle Maraschin
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